PORTRAITS DE DIPLÔMÉ·ES

SANS TITRE

Portraits de diplômé·es des écoles supérieures d’art et de design publiques de Nouvelle-Aquitaine


→ Télécharger la publication

Ce que j’ai compris avec vous

Au départ, une demande précise, presque mathématique, à mon endroit : trente portraits d’ancien·nes étudiant·es des écoles d’art de Nouvelle-Aquitaine, trente interviews, trois mille signes par page. J’avais six mois. Pour questionner, écouter, tenter de cerner quelque chose à ce qui, à force de demander comment, a fini par devenir pourquoi. Pourquoi êtes-vous devenu·e artiste ? L’exercice est au carrefour du journalisme, de la sociologie, de la philosophie, de la psychologie voire de la politique. Pour y parvenir, il m’a fallu maîtriser des acronymes fous (ah les noms des écoles d’art et des diplômes !), réviser mon histoire de l’art, mon anglais parfois et ma géographie souvent (vous les connaissez, vous, les fuseaux horaires qui séparent la France de la Nouvelle-Calédonie ou du Vietnam ?).

Je me suis attelée à la tâche : caler les rendez-vous, préparer les interviews, vérifier les contacts et les informations. Il y a la routine du boulot et puis, au bout, il y a trente entretiens. Trente voix différentes, trente parcours qui se découvrent, trente visions du monde. Ça a été comme d’ouvrir trente coffres au trésor, provoquant chez moi (et j’espère très fort, chez les lecteur·ices) émotion, émerveillement. Ponctué de rires (« non mais ça, vous n’allez pas l’écrire quand même ! »), d’hésitations (« attendez, je ne me souviens plus si c’était cette année-là… »), d’insistance (« j’aimerais vraiment que vous citiez le nom de cette professeure très importante dans mon parcours. »). Ça, c’est pour les coulisses, les sentiments. Plus rationnellement, s’il faut faire une synthèse, j’essaie d’observer ces trente échanges comme une mosaïque qui dessinerait quelque chose. Mais quoi ? Qu’ai-je compris, moi qui ne suis pas artiste, de vous tous·tes en prenant le temps de vous écouter ?

D’abord, votre attachement à vos écoles respectives. Liberté, est le mot que j’ai le plus entendu. « L’école m’a donné une grande liberté dans les projets que je pouvais former ». Liberté donc, et le mot n’est pas dit à la légère. Il a le poids de ce que l’on ressent à 18 ans et qui reste pour toujours si l’on sait l’ancrer. Assorti d’esprit critique, d’infinies possibilités techniques, de méthode. De rigueur. Le soutien des professeur·es et des technicien·nes en filigrane. Et par-dessus tout : la notion éminemment intéressante de connaissance de soi-même. Les écoles d’art forment à connaître son propre mode de travail, d’inspiration et de fonctionnement. Une fois qu’on a cela, quand on est jeune, on a tout. Il me semble.

Ensuite, parmi les sujets que vous abordez chacun et chacune dans vos recherches artistiques, le passé tient une grande place, avec ses mémoires – individuelles ou collectives, coloniales, familiales, sociétales. Les ailleurs aussi, les futurs, la technologie, l’intelligence artificielle, l’univers. Avec vos différents moyens d’expression, vous jetez des lignes dans nos espaces-temps, comme pour tenter d’en saisir quelque chose, pour nous le donner à voir, à nous autres qui sommes inévitablement coincé·es dans un quotidien effréné et sans épaisseur.

Enfin, j’ai perçu que pour vivre de votre art – la grande affaire -, vous avez tous·tes créé vos propres interstices, vos possibilités de travailler, d’exister. Être artiste, ce n’est pas exposer dans un musée (ou pas seulement). Vous faites des conférences, des performances, du spectacle vivant. Vous menez des ateliers avec des enfants, vous enseignez, vous écrivez, vous faites de la musique, de la céramique funéraire, vous tondez des moutons ou vous créez des navettes pour voyager vers les étoiles. Vous œuvrez en collectifs pluridisciplinaires. Vous creusez des brèches dans le conformisme, pour y faire votre trou, notre trou. Vous êtes là où on ne vous attend pas. Et si vous galérez, vous le faites en éclaireur·euses. Car, en 2024, qui ne galère pas ?

Xavier Boussiron m’a dit « aux Beaux-Arts, on a une certaine expertise de la mouise. » Des experts de la mouise. Exactement ce dont le monde actuel a besoin. En cela, vous êtes tous·tes des avant-gardistes, inspirant·es, ourvoyeur·euses d’espoir. C’est sûr.

Avec vous, on peut respirer.

Myriam Hassoun
autrice de Sans titre

Capture d’écran 2024-12-17 à 11.25.02.png Capture d’écran 2024-12-17 à 11.25.09.png Capture d’écran 2024-12-17 à 11.24.38.png

Sortie de la publication

le 6 février à la Fabrique Pola

à l’occasion de l’inauguration du Centre de Ressources de la Fabrique Pola

et de la journée professionnelle La criée